En ce 11 novembre 2023, j’ai souhaité souligner l’importance de l’unité et du renforcement de nos démocraties, face aux impérialismes et aux ultranationalismes qui menacent et obscurcissent notre continent. Visionnez mon discours en vidéo et retrouvez sa transcription, ci-dessous.
Discours de Madame Sarah TANZILLI, Députée du Rhône,
Lecture faite à Décines-Charpieu et à Meyzieu
Madame le Maire, chère Laurence Fautra,
Monsieur le Maire, Cher Christophe Quiniou
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs les représentants des Anciens Combattants,
Messieurs les porte-drapeaux,
Mesdames et messieurs les responsables associatifs,
Chers enfants du Conseil municipal des enfants,
Chers jeunes du SNU,
Chers sapeurs-pompiers professionnels et volontaires,
Mesdames et Messieurs,
11 novembre 1918, il est 11 heures : c’est l’Armistice.
La nouvelle de la Victoire se répand à la volée dans tout le pays, de clocher en clocher. L’écho du clairon vient d’annoncer la fin d’un conflit qui a éprouvé le monde et décimé les Hommes. La fureur du canon s’est enfin tue, couverte par un immense éclat de joie.
Pour des millions de soldats venus du monde entier, c’est la fin de quatre terribles années de combat. Le soulagement est immense.
Car l’armistice met fin à quatre années d’horreur absolue, de destructions, de privations, quatre années qui conduisirent 9 millions d’âmes à la mort, qui virent se dérouler le premier génocide du XXe siècle et qui firent 6 millions de mutilés.
Chaque 11 novembre, nous commémorons l’armistice qui mit fin à la Première guerre mondiale ; et depuis 2012 nous honorons également tous les « morts pour la France » ; cette année marque plus spécifiquement le 100e anniversaire de la mise en place de la flamme du souvenir qui donne tout son sens à l’Arc de triomphe.
En effet, le 11 novembre 1923, à 18 heures, André Maginot, ministre de la Guerre et des Pensions, allumait pour la première fois la Flamme du souvenir. Depuis, elle ne s’est jamais éteinte.
Depuis 100 ans, cette flamme luit sous l’Arc de triomphe.
Ravivée tous les soirs, elle veille sur la tombe du soldat inconnu.
En éclairant les voûtes d’un monument construit pour le triomphe, cette flamme lui donne aussi sa véritable vocation : elle parachève le sens qu’ont les noms des 158 batailles et des 660 officiers inscrits sur la pierre, ce sens qui fut rappelé par Clémenceau annonçant la signature de l’armistice du 11 novembre 1918 : au fond des combats de la France, on trouve toujours « le soldat de l’idéal ».
Jamais cette flamme ne fut un feu de joie. Jamais elle ne crut célébrer la force. Cette flamme est modeste : elle ne revendique rien, pas plus qu’elle n’impose. Elle rend, à juste titre, hommage.
Mais commémorer le 11 novembre, c’est aussi prendre toute la mesure de la façon dont nos prédécesseurs mirent fin à la guerre.
Car, malgré la joie des Français de 1918, malgré leur détermination à ce que la 1ere guerre mondiale soit la Der des Der – mesurons la triste ironie du choix de ce terme – cette guerre, nous le savons, en cachera une autre. Au moins tout aussi apocalyptique. 21 ans plus tard, l’Europe et le monde renoueront avec la famine, l’horreur et l’extermination génocidaire.
De 1918 et des suites qui en furent données, nous pouvons tirer de multiples enseignements toujours aussi riches pour répondre aux enjeux de notre monde de 2023 et c’est je crois, un des intérêts majeurs de ces jours de mémoire qui nous offrent le temps de prendre du recul sur nous-mêmes en mettant en perspective historique le monde qui est le nôtre.
D’abord, 1918 nous enseigne que les conflits auxquels aucune réponse politique fondée sur les droits humains fondamentaux et la justice, ressurgissent toujours.
Ce fut le cas en 1918 alors que la solution proposée par le traité de Versailles tenait plus de l’humiliation des vaincus que de la réponse politique juste.
C’est le cas aujourd’hui alors que la résurgence de la guerre au Moyen-Orient est bien le résultat de l’incapacité des dirigeants du monde depuis 3 décennies à apporter une réponse politique juste au conflit israélo-palestinien.
C’est aussi le cas pour le peuple kurde bombardé et pourchassé par tous les empires de la région et en particulier par la Turquie parce que la solution d’un État kurde envisagée initialement au sortir de la 1ere guerre mondiale fut finalement abandonnée et qu’aucune solution politique ne leur furent apportée.
Les suites de 1918 nous enseignent également que les compromis politiques ne doivent jamais être des compromissions vis-à-vis de nos principes.
C’est pourtant ce que nous fîmes dans l’entre-deux-guerres lorsque, obsédés par la volonté de ne plus connaître de conflits mondiaux, nous abandonnâmes les sudètes aux mains d’Hitler, c’est ce que nous reproduirons des décennies plus tard en laissant Poutine s’accaparer la Crimée et en repoussant un soutien militaire à l’Ukraine pourtant irrémédiable et salvateur pour contrer la soif de conquête irrépressible du nouveau tsar russe Vladimir Poutine.
Les suites de 1918 nous enseignent aussi que la paix n’est jamais acquise, qu’elle se chérit certes, mais qu’elle s’entretient et qu’elle se défend, souvent en nous donnant les moyens concrets d’y répondre. Le robuste pacifisme qui traversa la société française après 1918 ne fut pas d’une grande aide – c’est un euphémisme – lorsqu’il fallut faire face au nazisme.
Aujourd’hui, il nous convient de faire preuve de lucidité et de courage.
Oui, nos démocraties ne sont pas bellicistes, oui elles sont organisées de manière à garantir le bien-être de ses membres et non pas à assurer un effort de guerre. Pour autant, il nous faut nous adapter et mettre en œuvre avec détermination les efforts humains et matériels nécessaires. Un effort que nous consentons déjà en partie – le Parlement a doublé les moyens consacrés à notre défense au printemps dernier – mais que nous ne pourrons renforcer et maintenir dans la durée qu’à condition que les citoyens et les citoyennes accompagnent ces efforts par la conviction inébranlable qui doit être la leur de cette nécessité.
Enfin, les suites de 1918 nous enseignent que lorsque les États sont incapables de faire respecter le droit comme mode de résolution des conflits, c’est la force qui s’y substitue. Et là, encore la suite donnée à la paix de 1918 fait tristement écho à la réalité du monde de 2023. C’est notamment parce que la Société des nations fut incapable de faire respecter le droit que la seconde guerre mondiale se produisit.
Aujourd’hui, c’est bien parce que l’ONU est devenue aussi incapable que la SDN que les dictateurs Aliyev et Erdogan ont pu exercer un blocus de plus de 9 mois sur les 120 000 Arméniens du Haut-Karabakh qui furent ensuite victimes d’une épuration ethnique en quelques jours sans qu’aucune autorité internationale ne soit en capacité d’intervenir.
Et toujours, comme en 1914, comme en 1939, nous voyons poindre derrière ces guerres le visage de l’ultra nationalisme et de l’impérialisme, russe en Ukraine, panturc en Arménie. Des empires qui sèment la haine, qui nient la valeur de la vie, des empires qui veulent détruire notre modèle parce qu’il place au centre de nos préoccupations l’homme, son aspiration à la paix, à la liberté, à la justice et au bien-être.
Pour le moment ces empires s’en prennent aux plus fragiles d’entre nous, comme le fit Hitler dans l’entre-deux-guerres, mais ils ne s’arrêteront pas là.
Aussi, cent ans tout juste après le premier allumage de la flamme du souvenir, sachons réécouter son message. Sa fragilité et son histoire nous susurrent que la force sans la justice est une impasse, que la liberté a un prix, que la paix se prépare et qu’elle doit même parfois se gagner.
Saurons-nous être digne de ces sacrifices, à la hauteur des enjeux de notre temps ? Serons-nous capables à notre tour de défendre, dans un monde déjà très obscurci, la flamme de la démocratie, de la liberté et de l’humanité ? Saurons-nous protéger notre extraordinaire héritage commun, celui qui nous permet de faire nation, celui qui fait notre fierté, nos principes de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité ?
Ce combat aussi est toujours devant nous et il suffit de constater l’explosion des faits antisémites aux quels nous assistons depuis quelques semaines en France et contre lesquels nous serons nombreux à être mobilisés demain partout pour prendre toute la mesure des graves fractures qui traversent notre société. Mais ce combat là aussi, nous saurons le mener, dans l’unité et autour de nos principes républicains.
Mesdames et messieurs, la flamme du souvenir est aussi la flamme de l’espérance et de la résilience. Dans ces moments graves et difficiles, ne l’oublions pas.
Vive la République. Vive la France.
(Seul le prononcé fait foi)