Mon intervention en discussion générale sur le projet de loi de constitutionnalisation de l’IVG, le 24.01.2024

Retrouvez mon intervention en vidéo et en texte ci dessous, pour mieux comprendre pourquoi je défends le projet de loi inscrivant le droit à l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution.

Le texte intégral de mon discours ci-dessous :

Madame la Présidente,

Madame la Ministre,

Monsieur le Garde des sceaux,

Monsieur le président de la Commission des lois,

Monsieur le rapporteur,

Madame la Présidente de la Délégation aux droits des femmes,

Mes chers collègues,

Il y a près d’un demi-siècle cette Assemblée légalisait le droit à l’interruption volontaire de grossesse sous l’impulsion de Simone Veil, marquant ainsi le commencement d’une nouvelle ère pour les femmes, celle de la maîtrise de leur corps, de la maîtrise de leur destin.

Depuis cet acte fondateur pour les droits des femmes dans notre pays, que de chemin parcouru. Le droit à l’avortement a été renforcé et facilité, son remboursement a été mis en œuvre et il ne fait aucun doute que toutes les politiques d’égalité entre les femmes et les hommes dans notre pays n’aurait pas été possible sans ce pas décisif.

Il appartient aujourd’hui à cette législature de consacrer ce droit pilier de l’édifice législatif émancipateur des femmes en inscrivant dans notre Constitution la liberté garantie à la femme de recourir à l’interruption volontaire de grossesse.

Si plusieurs groupes parlementaires ont pris l’initiative de déposer une proposition de loi constitutionnelle, et je tiens à les saluer, ils ont tous souligné la nécessité de privilégier le recours à un projet de loi.

Ces propositions de loi eurent le mérite de permettre à nos deux chambres de débattre sereinement.

Et comme il s’y était engagé, au terme d’une première navette, le Président de la République a déposé un projet de loi constitutionnelle en Conseil des Ministres.

A ce stade, je tiens à saluer Monsieur le Garde des sceaux votre engagement constant en faveur de l’inscription dans la Constitution du droit de recourir à l’IVG ainsi que votre détermination sans borne Madame la Ministre. Et nous nous souvenons tous du discours profondément sincère et combattif que vous aviez tenu ici il y a plus d’un an lorsque vous faisiez encore partie des membres de cette assemblée à l’occasion de l’examen d’une première proposition de loi constitutionnalisant le droit à l’IVG.

Je tiens également à saluer la qualité du rapport rédigé par vos soins, Monsieur le rapporteur. A sa lecture, et à la lumière de l’avis particulièrement éclairant du Conseil d’État, les conséquences juridiques de cette inscription dans la Constitution sont claires.

D’abord, ils permettent de répondre à ceux qui arguent du fait que l’inscription de l’IVG dans la constitution est superfaitatoire, le Conseil d’État est venu clarifier sans aucune ambiguïté le fait qu’il n’existe pas, en l’état actuel de notre droit, de garantie supra législative à la liberté donnée aux femmes de recourir à l’avortement. Certes le juge constitutionnel a bien affirmé que la législation actuelle en matière d’IVG est conforme à la constitution, mais il n’a jamais affirmé qu’une loi qui viendrait réduire ou faire disparaître ce droit de l’ordonnancement juridique serait contraire à notre loi fondamentale. Il est donc incontestablement essentiel de passer par une disposition claire qui consacre cette liberté dans la constitution.

Ensuite, sur la formulation retenue, « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse », là aussi vos travaux M. le rapporteur, ainsi que ceux du Conseil d’État sont précieux.

D’abord sur l’usage du mot liberté plutôt que du mot droit, je reprendrai les éléments de l’avis du Conseil d’État qui indique : « Au vu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui ne retient pas une acception différente des termes de droit et de liberté, le Conseil d’État considère que la consécration d’un droit à recourir à l’interruption volontaire de grossesse n’aurait pas une portée différente de la proclamation d’une liberté. »

Je vous dirai aussi que la constitution consacre bien la liberté d’expression ou la liberté de conscience, qui sont des droits fondamentaux dont nul ne conteste la portée, quand bien même il ne s’agit pas d’un droit à proprement parler.

Sur le choix du mot femme, de même, l’avis du Conseil d’Etat est tout aussi éclairant : si la désignation d’un bénéficiaire de cette liberté est indispensable pour donner un caractère personnel à celle-ci, l’usage du mot femme – somme toute assez légitime lorsqu’on parle de droits reproductifs – n’empêche en aucun cas de faire de toute personne en état de grossesse un bénéficiaire de cette liberté.

Enfin, le choix du gouvernement de reprendre les travaux du Sénat sur l’inscription de cette liberté à l’article 34 de notre Constitution tout en précisant que la liberté de recourir à l’IVG est garanti aux femmes me semble être tout à fait pertinent et de nature à calibrer avec justesse le niveau de protection de cette liberté.

Car cet équilibre permet de consacrer les prérogatives du législateur pour délimiter les contours et les modalités d’exercice de ce droit tout en donnant à la Constitution le soin d’en protéger le caractère effectif.

Si ce projet de loi est adopté, il n’en résultera pas la nécessité de faire évoluer notre cadre législatif, il n’en résultera en aucun cas un droit à l’interruption volontaire de grossesse en dehors du cadre législatif actuel, il n’en résultera pas non plus une remise en cause d’autres droits et liberté et en particulier de la liberté de conscience des médecins.

Il ne sera en revanche pas possible pour un législateur réactionnaire d’interdire l’avortement, ou de le limiter de manière excessive. 

Cette rédaction fruit d’un premier échange entre les deux chambres de notre Parlement est donc bien une rédaction de compromis mais elle est surtout d’une redoutable efficacité : permettre la mise en place d’un bouclier protecteur non régressif, empêcher tout retour en arrière qui viendrait priver d’effectivité le droit des femmes de recourir à l’IVG.

Je peux comprendre que certains de nos collègues, très engagée sur ce sujet, soient tenté de vouloir améliorer la rédaction proposée par le Garde des sceaux. Mais je voudrais leur répondre que les deux chambres ont déjà eu l’occasion d’exprimer leur volonté, que le mieux est l’ennemi du bien et qu’à partir du moment où le terme garanti a été ajouté à la formulation du Sénat, et ce terme est tout à fait fondamental, il ne fait aucun doute qu’elle offre un niveau de protection suffisant.

Il nous faut donc en tirer les conclusions appropriées et voter ce texte, sans modification, pour tendre la main à nos collègues sénateurs et parce que toute modification nous éloignerait de la perspective d’une constitutionnalisation. C’est ce que fera le groupe Renaissance : voter ce texte sans rien n’y ajouter, sans rien n’y retrancher.

Juridiquement la situation est claire. Politiquement elle l’est aussi, malheureusement.

Certains pensent qu’il ne s’agit que d’une mesure purement symbolique et qu’aucune menace ne pèse sur le droit à l’IVG.

Je leur répondrais deux choses : la première c’est que le bon moment pour inscrire une liberté dans notre loi fondamentale, c’est lorsque nous avons une majorité pour le faire. Après, il est trop tard.

La seconde, c’est que non, il est faux de considérer que la menace est nulle :

  • Parce que l’humilité impose de regarder avec lucidité ce qui se passe hors du territoire français et de constater que partout les réactionnaires, lorsqu’ils arrivent au pouvoir, portent atteinte à ce droit car il constitue un pilier essentiel de la capacité des femmes à maitriser leur corps et donc leur destin. Il y a eu l’arrêt Dobbs aux Etats-Unis, qui nous rappelle qu’une tradition juridique bien ancrée peut être modifiée par une minorité très organisée. Mais ce n’est pas qu’une affaire américaine comme on l’entend parfois. au Portugal, les conservateurs ont limité les conditions d’accès à l’IVG ; en Hongrie, ils ont quasiment fait disparaître ce droit et en Pologne il a été pratiquement aboli dans les faits. Suppression totale, partielle, déremboursement, mesures vexatoires comme l’imposition d’un examen psychologique, de délai de réflexion, ou obligation d’entendre au préalable les battements de cœur du fœtus, partout les adversaires de l’IVG multiplient les attaques contre ce droit, y compris en Europe. Que toutes les défenseures du droit à l’avortement en Europe, qui militent parfois dans des conditions très difficiles, soient ici saluées et encouragées, leur combat est le nôtre.
  • Parce qu’il faudrait être aveugle ou de mauvaise foi pour ne pas voir que la menace est réelle, ici aussi. Non, les anti-IVG dans notre pays n’ont pas disparu. Ils pullulent sur les réseaux sociaux et sur internet, ils envoient des fœtus en plastique aux députés engagés sur cette question, 6 à 15000 d’entre eux ont défilé dans nos rues la semaine dernière, ils sont même parmi les rangs de notre assemblée. Car n’oublions pas que si la stratégie de la cravate change l’apparence elle ne change rien au fond. Oui, l’extrême droite est l’adversaire historique du droit des femmes en général et du droit à l’avortement en particulier. Marine Le Pen défendait il y a encore quelques années le déremboursement de l’IVG considérant qu’il fallait lutter contre « les avortements de confort ». En 2021, lorsque cette assemblée allongeait le délai de 12 à 14 semaines, elle dénonçait « une dérive idéologique ». On attend d’ailleurs toujours sa condamnation de l’interdiction de l’avortement en Pologne par ses alliés du PiS. Je crois donc que nous pouvons donc avoir des doutes légitimes quant au fait que ce sont les idées du RN qui aient changé, sa soif de pouvoir plutôt qui pousse ses membres à dissimuler leurs croyances profondes derrière des cravates. Pourtant c’est bien une élue RN qui avait qualifié en 2018 l’avortement de « génocide de Français remplacés à tour de bras par les migrants » et c’est au RN qu’un député a comparé en 2020 l’IVG à la Shoah, aux génocides arméniens et rwandais, et aux crimes de Daesh.

A ceux qui disent que cette constitutionnalisation ne sert à rien, je leur poserai cette question : veulent-ils sérieusement prendre le risque ? le risque de voir demain leurs filles et leurs petites filles mettre leur vie entre les mains de faiseuses d’ange ? Se retrouver dans une arrière cuisine et finir mutiler ou même pire, simplement parce qu’elles ne pouvaient pas se résoudre à mener à terme leurs grossesses ?

Ce n’est ni mon choix, ni celui de mon groupe. Pour consacrer le droit des femmes à maîtriser leur corps, pour envoyer un message d’espoir à toutes les femmes du monde qui voient leurs droits reproductifs fragilisés, le groupe Renaissance votera pour ce texte sans modification.